• De Divajeu aux grottes du Sahara, l'archéologue Léone Allard-Huard

    De Divajeu aux grottes du Sahara, l'archéologue Léone Allard-HuardVoici une histoire d’aventures, une histoire d’amour, une histoire de passion. Une histoire qui trouve son commencement et son aboutissement à Divajeu, dans le moulin des Lambres qu’en 1900 achète Eugène Allard. Il va produire là de l’huile et de la farine. Il y eût même un temps, précédemment, où on y faisait de la chaux. Puis, c’est Léon, le fils qui reprend l’affaire dans ce superbe bâtiment planté au dessus de la gorge profonde du ruisseau des Lambres qui a pu être colérique au point d’envahir les terres alentours, en dépit de la profondeur de son lit.
    C’est là que va naître, il y a 82 ans, Léone si peu destinée, dans ce cadre, à devenir une spécialiste reconnue des inscriptions des grottes du Tassili dans le Sahara. Les images de son enfance sont celles de l’âne que sa mère utilisait pour aller au marché. « Je suis né dans la farine », dit- elle en riant. On entre dans le lieu même où jadis se trouvait le moulin. « Le plancher était en bois et donc la farine broyée en dessous voletait partout… » Mais aujourd’hui on est bien en peine de reconnaître quoi que ce soit qui rappelle un moulin. La pièce est envahie de livres, dont beaucoup de travaux savants de Léone Allard. Au mur, des dessins, un peu partout , qui reproduisent ceux découverts dans le désert par l’archéologue et son époux, aujourd’hui décédé, le Général Paul Huard.


    LE DIRECTEUR D’ECOLE ELEVAIT DES LIEVRES
    « J’ai commencé comme bouche-trou dans des écoles de l’Ardèche » raconte-t-elle en montrant un petit tableau naïf que lui dédia un de ses écoliers d’alors. Léone Allard a un passé de scoutisme donc elle pratique une pédagogie active, plus ou moins bien appréciée des parents d’élèves. Elle sort d’une pile de documents un touchant petit journal rédigé par ses élèves en anglais qu’elle enseignait. Il y est question de Frisette, la vache d’une famille et du directeur d’école qui allait à la chasse et élevait des lièvres.
    Léone Allard va ainsi enseigner l’anglais en divers postes, en particulier à Joyeuse et, pendant 17 ans, à Saint Agrève. Mais l’atmosphère est un peu étriquée. Elle rêve de grands espaces. Une annonce d’un voyage organisé au Sahara la séduit. Elle veut partir. Mais l’affaire échoue. Nous sommes alors en 1974. L’ethnologue Françoise Claustre vient d’être enlevée par des rebelles sur place et le déplacement est annulé. Ce sera donc pour l’année suivante.
    Et là c’est le choc. Léone Allard découvre en plein désert ces dessins des chasseurs qui vécurent là de -5000 à -1000 avant Jésus Christ. Elle photographie, dessine, note et rentre pleine d’enthousiasme en Ardèche. Elle s’y sert du matériel ainsi récolté pour faire monter des expositions par ses propres élèves. « Avec pas grand-chose, on peut faire énormément… » dit-elle aujourd’hui en songeant à cette pédagogie de bouts de ficelles mais audacieuse.


    LE GENERAL ET SES MEHARISTES
    Encouragée par un photographe, elle voudrait faire davantage connaître cette civilisation qu’elle a entr’aperçue. Un livre peut-être ? A Grenoble, l’éditeur Arthaud se récuse, mais donne tout de même d’utiles conseils… et surtout des adresses. Celle de Roger Frison Roche et celle…du général Huard
    La belle figure que voilà ! Celle de ces militaires découvreurs du monde, comme il y en eût tant. Paul Huard est un Lorrain, né en 1903, qui rêve dès sa jeunesse de partir pour l’Outre-Mer. Alors ce sera l’armée, non qu’il nourrisse pour elle une passion excessive, mais que d’opportunités de voir du monde ! Le voici en Chine, à Ceylan, au Laos, en Inde. Il court l’Asie. Il remonte le Yang Tsé sous un vague prétexte militaire. Et, très tôt, sa passion des peuples lointains se traduit par des publications scientifiques. Il écrit un ouvrage sur les Mnongs du plateau central indochinois. Il y a la Deuxième Guerre, bien sûr. Il est du côté de De Gaulle. « Bien sûr », ajoute Léone. Il passe en Espagne, est fait prisonnier, puis rejoint les troupes alliées en Afrique du Nord. Belle carrière qui lui vaut le grade de de général en 1953. Dans l’intervalle, il a quitté l’Asie : « Qu’il aille où il veut mais qu’il quitte l’Indochine », aurait dit le Maréchal Leclerc. Le voici donc au Tchad qu’il connait un peu pour avoir lu les récits d’un voyageur du XIX° siècle, Nartigal. Basé à Fort Lamy (l’actuel N’Djaména), il court le désert avec ses méharistes. Et, lui aussi, découvre les dessins rupestres qui nous renvoient à une civilisation incroyablement lointaine.


    COMPARAISON ETONNANTE
    C’est cet homme là qui va recevoir un jour, dans sa propriété de Saint Mandrier, au bord de la Méditerranée, une lettre d’une jeune femme de 24 ans sa cadette : Léone Allard, bien sûr. Là se noue une histoire d’amour. Ils se marient au bout de trois mois. Là se noue aussi une immense aventure scientifique. Ces deux là vont courir le Tchad et le Soudan, vont multiplier les photos et les relevés. Et ils vont faire des rencontres remarquables.
    Ainsi avec Jean Leclant, le très grand égyptologue. En effet, il n’est pas possible de dater tous ces dessins que les Huard trouvent dans les profondeurs du Tchad ou du Soudan. Mais le Général a la formidable intuition qu’en raisonnant par comparaison avec ce que l’on trouve non loin de là, en Egypte, on pourra tirer des leçons. Or, il est beaucoup plus facile de dater les découvertes égyptiennes. Léone Allard bondit de sa chaise, étonnante d’énergie lorsqu’il s’agit de défendre la passion de sa vie, et tend deux dessins, l’un venu des sables du Tchad, l’autre d’Egypte. Et la comparaison est étonnante. La parenté de certains motifs est manifeste.
    Le Général Huard et son épouse vont ainsi élaborer une théorie qui sert aujourd’hui encore de référence. Ils ont montré qu’il y avait dans ces dessins non seulement une représentation de ce que voyaient leurs auteurs ( les traits culturels matériels, en termes scientifiques), mais aussi des dessins qui trahissaient ce qu’ils avaient à l’esprit, par exemple des invocations avant une chasse pour qu’elle soit féconde (des traits culturels de valeur psychiques). Et évidemment, comment ne pas être tenté de voir là une intuition de l’existence d’une autre force, des dieux, pour tout dire ?


    DANS LES CAMIONS DE CHEVRES
    Des photos par milliers, des dessins à n’en plus compter, des publications importantes comme « Nil Sahara, dialogues rupestres », Léone Allard fit tout cela aux côtés de l’homme de sa vie, disparu en 1994. « Il ne cherchait pas. Il trouvait », affirme-t- elle aujourd’hui toujours fidèle à sa mémoire et touchante lorsqu’elle dit « le général », lorsqu’elle parle de lui. Et tout ce qu’elle fit, elle le fit pour rien. Jamais payée, privée du moindre titre officiel, achetant ses billets d’avions, montant dans des camions chargés de chèvres pour s’enfoncer dans des territoires lointains, dormant chez l’habitant, Léone Allard ne s’est pas ménagée.
    Et elle continue. Elle traduit en anglais, cette langue qu’elle a apprise dans sa jeunesse par des séjours répétés en Angleterre et en Ecosse, tous ses travaux. Elle les fait imprimer et les envoie à ses jeunes collègues, par exemple au Soudan, qui ont pris la relève et, à leur tour, font avancer notre connaissance de ces civilisations des sables.

     

     


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