• Un rapport de 1857 sur la crise de la soie

    Rapport de Balthazard Souvion,

    juge de paix du canton de Saillans, issu d'une grande famille saillansonne, membre de la société d'agriculture de la Drôme, en 1857.

    Un rapport de Balthazard Souvint sur la crise de la soie

    "La récolte des vers à soie est la plus grande richesse des pays méridionaux de la France et bien des pays du Nord et de l'Ouest s'occupent activement de la culture du mûrier. On s'en occupe également dans les pays étrangers et des graines venues de la Suisse, même de Prusse très froide en comparaison de la France, ont toutes à peu près réussi.

    Depuis plusieurs années, une maladie s'est emparée du ver à soie dans les pays méridionaux et paralyse presque entièrement cette production. Cette maladie s'est introduite en France et en Italie depuis 1852 et a exercé ses ravages principalement en 1855, 1856 et 1857 et a anéanti en quelque sorte le produit de ce précieux insecte. Cette maladie nous est venu sans doute de l'Afrique ou de l'Espagne où elle règne depuis 10 ans.

    Le ver est atteint de la maladie; elle se maintient dans la métamorphose de la chrysalide en papillon et ce dernier la communique à la graine en altérant les organes du papillon, mâle et femelle, et lui ôte les facultés nécessaires à la pondération (?) de la graine qui n'est pas convenablement fécondée. Il suit de là que la graine produites par les vers atteints de la maladie ne produit que des vers d'une faible constitution qui périssent quelquefois à leur naissance ou restent faibles et délicats, ne mangent pas et demeurent ainsi faibles de constitution,végètent sans acquérir de la force pour faire de bons cocons.

    On pourrait citer à l'appui de ce que je dis ci-dessus une infinité de graines qui n'ont produit que de petits vers appelés vulgairement arpins. Ainsi, en 1856 et 1857, beaucoup de personnes ont essayé de faire de la graine avec des cocons très bien réussis dans les pays de plaine; ils en ont même fait dans les pays de plaines avec des cocons des montagnes espérant ainsi être préservée de la contagion. Les vers n'ont produit que très peu de graines mal fécondées et lorsqu'on la mise à l'incubation, en 1856 et 1857, à cause de la cherté de la graine- et j'en ai fait moi-même la triste expérience en 1857 sur deux once de 25 g dont les vers n'ont jamais montré beaucoup de vigueur et ont fini par mourir à chaque mue, ne mangeant pas ils n'ont pas fait de cocons (phrase bancale) .
    Monsieur le maire d'Espenel (Canton de Saillans) qui, depuis plusieurs années, fait de la graine dans les pays montagneux m'a assuré qu'il a transporté des cocons de la récolte qu'il a fait grainer à Brettes, pays des montagnes du canton de la Motte Chalancon assez froid, pour les faire grainer à Espenel. Ces cocons ont autant produit de la graine à Espenel qu'à Brettes et les propriétaires d'Espenel auxquels il a vendu de cette graine ont très bien réussi. Le sieur Brun, maire d'Espenel, m'a dit qu'une année que sa récolte avait très bien réussi, il a pris 4 kg de cocon de sa récolte espérant qu'il pourrait en obtenir de la graine afin d'être dispensé d'aller en chercher dans les pays de montagne, mais ces 4 kg de cocons ne lui produisirent que 32 g de graines lesquelles furent atteintes de la maladie et ne produisirent point de cocon.

    Un rapport de 1856 sur la crise de la soieJe connais plusieurs personnes qui, en 1856, avaient acheté des cocons des montagnes pour faire grainer à Saillans (Drôme) . En 1856, elles n'ont obtenu qu'une faible récolte. Ces mêmes personne ce sont servies en 1857 de la graine faite dans les pays montagneux. De la même récolte dont elles s'étaient servies en 1856 et quoi que élevées dans des pays chauds, elles ont très bien réussi cette année. Ce cas ne s'est pas produit seulement Saillans mais il s'est aussi produit dans tous les pays de canton pour les particuliers qui ont été faire de la graine dans des endroit frais où la maladie n'avait pas encore pénétré.

    On reconnaît facilement si la maladie, appelée gatine en Italie, a envahi une chambrée, en ouvrant le cocon et partageant la chrysalide en travers: on trouve les ovaires ou germes noirâtres; si, au contraire, on les trouve verdâtres, on peut sans crainte les prendre pour graine.

    Les personnes qui vont dans les montagnes pour y chercher de la graine reconnaissent le maladie sur les vers : ainsi elles visitent les chambrées qu'elles sont dans l'intention d'acheter deux jours après la troisième mue; si elles voient que l'extrémité des pattes des vers, le museau, la queue sont noirâtres, l'insecte est atteint de la maladie et elles renoncent à faire l'achat. Si ces signes ne sont pas apparents à la sortie de la troisième et quatrième mue, on retient la chambrée pour faire de la graine pour l'année suivante. On a encore soin de voir les vers au moment de la montée pour s'assurer qu'ils sont vigoureux et s'ils font correctement leurs cocons. Ceux qui vont faire ses observations ne terminent leur marché que lorsqu'ils voient les cocons forts et qu'ils en ont coupé plusieurs pour examiner si la chrysalide n'est pas atteinte de la maladie ce qu'ils reconnaissent aux signes que j'ai indiqués plus haut. Nous avons dit que les vers à soie réussissent beaucoup mieux dans les pays montagneux à cause de l'air plus pur des montagnes. Que conclure de cette situation? C'est qu'il convient de ne pas trop chauffer les vers: une trop grande chaleur doit altérer les organes vitaux, abréger la vie de l'insecte et l'empêche ainsi de recueillir dans le corps la soie nécessaire pour faire de bons cocons.

    La température reconnue la plus convenable et celle de 20-21° à l'éclosion jusqu'à la première mue, 18-19° pour la seconde, mêmes températures à la troisième mue, mais plutôt de 16 à 18 degré, de 15 à 16 et même à 14 seulement à la quatrième mue et, à la montée, pendant la confection du cocon 18 et 19°.
    L'année 1857 a été tardive pour les vers à soie. Les froids, survenus du 15 au 30 avril, ont fait renvoyer l'éclosion des œufs par ce qu'on redoutait la gelée mais une chaleur des plus fortes ayant succédé tout à coup, les feuilles ont poussé avec une grande rapidité et la feuille arrivée si rapidement n'a pu être mangée par l'insecte, à cause de sa dureté. Les vers ne mangeant pas assez sont restés petits et n'ayant pas les forces nécessaires n'ont pu faire que peu de cocons. Aussi la plupart des éducateurs ont remarqué beaucoup de petits.
    Depuis dix ans, on s'apercevait en France que la graine dégénérait. On a eu recours aux graines d'Italie et, pendant quelques années, on a obtenu de bonnes récoltes mais, en 1855, la gatine a envahi la majeure partie des provinces italiennes et piémontaises et, depuis cette époque, on est presque forcé de renoncer aux graines de ces pays. Les sériciculteurs qui ont eu la précaution de faire faire de la graine dans les pays non encore atteint de la maladie, ont apporté des graines qui ont assez bien réussi. En 1856, Monsieur Poidebard associé de messieurs Noyer et Cohen de Lyon, en a fait faire à Bologne et à Florence 500 kg dont on se loue beaucoup en général. J'ai éprouvé moi-même la graine de Monsieur Poidebard qui a assez bien réussi. Monsieur Poidebard fera en 1857 beaucoup de graines pour la récolte de 1858 mais qui sait si la maladie n'aura pas atteint, en 1857, les provinces où il a fait faire sa graine l'année dernière. Par la confiance qu'il s'est acquise, il vendra beaucoup de graines pour la récolte prochaine mais si la gatine a sévi dans les pays d'où il la tire on éprouvera du mécompte.

    Monsieur Henrion Meynard et compagnie de Valréas a apporté beaucoup de graines d'Orient en 1856 . Cette graines a donné d'assez bons résultats. Il s'est acquis ainsi beaucoup de confiance dans la vente des graines de 1858. En habile sériciculteur, il a fait à grand frais une expérience pour reconnaître les meilleurs espèces qu'il convenait d'employer pour la récolte de 1858. Il a reconnu que les graines de cocons blancs de l'Archipel (?) était celles qui réussissaient le mieux. Il est certain qu'il s'en est procuré beaucoup de cette espèce pour l'année prochaine. Mais les fileurs ont reconnu que les cocons blancs ne fournissent pas autant de soie que les jaunes; il convient donc de préférer ces derniers et ceux de France aux étrangers qui l'emportent pour la forme et pour la finesse.

    Je conseillerais de faire faire la graine dans nos pays de montagne. Pour mon compte, j'ai l'intention de prendre quelques kilos de cocons bien réussis venant de la plaine - des jaunes- et de les aller faire grainer dans un pays de montagne. Il est possible que la graine soit meilleure et plus abondantes et , si je réussis, j'aurais l'avantage sur les cocons pris dans les pays montagneux en ce que les cocons de la plaine ont le brin plus fin et produisent plus de soie.


    Un rapport de 1857 sur la crise de la soieJe crois qu'il serait très important à cause de la qualité des cocons de se procurer de ceux de la plaine
    en faisant choix des nourritures non atteinte de la maladie et faire grainer dans les pays montagneux. On remarque que les meilleures récoltes produites par des vers dont la graine a été faite dans les montagnes ne grainent pas dans la plaine ce qui oblige les sériciculteurs d'acheter leurs graines dans les pays montagneux où les habitants s'en prévalent pour faire payer les cours de graines à des prix ruineux pour les propriétaires qui en achètent. En 1856, seuls les cocons de montagne pour graine se sont vendus de 10 à 11 Fr. le kilo; En 1857 le prix s'est élevé jusqu'à 20 à 25 Fr. le kilo. Et même à ce prix, tous les éducateurs n'ont pas pu se procurer ce qu'il leur fallait ce qui fait vraiment craindre que la récolte de 1858 ne sera pas meilleure que celle de 1857 à cause de la mauvaise qualité des graines qui seront employées.
    J'ai acheté 10 kg de cocons de la récolte de 1857 qui ne paraissent pas atteint de la maladie. Je vais les faire grainer à La Chaudière, pays très montagneux du canton de Saillans où il n'y a point de vers à soie. Je ferai aussi l'essai de faire de la graine avec 8 à 10 kg de bon cocons pris à la plaine, ne me paraissant pas atteint de la maladie et si les papillons me paraissent sains, je les ferais voltiger dans la fleur de soufre afin d'éprouver la vertu de cette substance pendant cette phase de ce précieux insecte.

    La France a beaucoup reçu de graines de l'Orient mais en général les vers sont trop gros et trop mous: ils montent difficilement à la bruyère. Monsieur Meynard l'a observé dans l'expérience qu'il en a faite en 1857. Il a dit que les cocons de Syrie ne convenaient pas à la France et je l'approuve sous ce rapport. Les petit cocons pourraient réussir mais le climat de la France ne me paraît pas leur convenir; d'ailleurs le brin est généralement grossier et ils ne valent pas l'espèce dite « de pays » ou de Cévennes. Il faut beaucoup d'espace pour les encabaner car ils ne grimpent que difficilement et n'aiment pas se fatiguer pour faire leurs cocons. J'aime à vanter l'espèce de ce pays parce qu'ils (les vers) sont lestes et vigoureux pour monter en bruyère.

    Leurs cocons sont d'une jolie grosseur et d'un brin très fin préférable à ceux de l'Italie généralement trop petits; les cocons blancs de la Grèce ou de la Turquie sont aussi de jolie grosseur. Certaines espèces ont le brin très fin et ont assez bien réussi cette année ainsi que les vers à cocons blancs de la brousse. Il est fâcheux que nous ne puissions pas nous procurer des graines à cocons jaunes de la grosseur et de la finesse de ceux de la France dits « de pays ».
    La France, pour la récolte de 1857, a employé beaucoup de graines d'Orient, d'Italie, du Piémont, de la Suisse de la Prusse, d'une partie de l'Allemagne et même de la Géorgie. Ces différentes espèces ont plus ou moins réussi mais elles ont été l'objet de tromperies indignes. Les Français sériciculteurs, ne sachant sur quelle graine fixer leur choix, en ont employé de toutes sortes dont la plupart, étant fraudées, ont donné de très mauvais résultats. Croyant bien choisir en prenant toujours les graines les plus grosses, les mieux nourries, les plus colorées qui sont les caractères de la meilleur fécondation la plupart ont été trompés ayant acheté des oeufs de poissons ou des graines de pavot ou encore des graines de ver à soie qu'on avait échaudé pour prévenir l'éclosion.
    Comme je ne vois guère de marchandises qui offre plus de moyens de fraude, je crois qu'il serait bon que chacun fit la graine dont il a besoin. Espérons que la science trouvera le moyen de faire disparaître la maladie des vers! Déjà, bien des personnes s'applaudissent des bons effets du souffrage. J'ai confiance que, Dieu aidant, il surgira un dernier remède qui nous permettra de conserver nos graines de pays et il nous exonèrera des pertes que nous faisons avec les vendeurs de graines qui ne cherchent qu'à faire fortune au détriment des éducateurs dont ils causent la ruine.
    Le gouvernement, dans sa sagesse et sa prévoyance, ne manquera pas de s'intéresser à cette branche de l'industrie si importante pour les pays méridionaux dont elle fait la plus grande richesse et afin de soutenir nos fabriques dont les produits s'exportent sur toute la surface du globe.
    La société d'encouragement pour l'industrie nationale ne restera pas en arrière pour offrir des réponses aux meilleurs éducateurs.

    Je désirerais que le gouvernement ou la société d'encouragement offrit une récompense considérable à celui qui fera faire plus de graines dites « de pays », qui livrera ses graines au plus bas prix, et qui, dans le mois d'août prochain, seront reconnues pour avoir le mieux réussi.
    Un autre prix à celui qui aura introduit en France le plus de graines étrangères, lesquelles auront été reconnues de bonne qualité après la récolte et qu'il aura cédé au plus bas prix. Le gouvernement devrait exiger qu'il ne fut vendu et livré au commerce aucune graine de vers à soie colorée. Les graines colorées devraient être saisies et confisquées au profit de l'État. Et une forte amende devrait être imposée à celui entre les mains duquel une pareille graine serait trouvée. De cette manière, on ne serait pas exposé d'acheter des œufs de poisson pour de la graine de ver à soie comme cela est avéré en 1857. La graine non fécondée apparaîtrait au yeux de tous. Et chacun pourrait juger par la couleur la qualité de la graine. Tout individu qui voudrait faire le commerce de la graine de ver à soie devrait être tenu d'en faire la déclaration à la mairie de sa commune. La graine devrait être contenue dans des boites portant en inscription la provenance et la quantité qu'elle contient ce pour chaque boîte et le tout signé par le vendeur afin d'avoir recours contre lui en cas de fraude. On pourrait bien avec ces précautions être encore exposé à des tromperies mais, cependant, bien moins que dans l'état des choses à cause de la crainte des amendes en cas de fraude.

     

     

    Saillans, le 6 juillet 1857

     

    Balthazard Souvion


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