• Les mémoires de Jean Pierre Diogène Mouriquand

    Les mémoires de Jean Pierre Diogène MouriquandNos nombreux lecteurs américains sont à la recherche des mémoires de Jean-Pierre Diogène Mouriquand qui fuit aux États-Unis avec son père. Nous possédons, en effet, je ne me souviens plus très bien comment, une « history of my life » de JPD, écrite à partir de 1928. En d'autres termes, ses mémoires. Je la résume pour nos lecteurs américains ici.  Elle est dans une langue invraisemblable et je ne suis pas certain d'avoir tout compris. C'est, au passage une indication de ce qu'à la fin de sa vie, il n'était pas encore capable d'écrire correctement la langue de sa nouvelle patrie. Or, il fut parlementaire de l'Oklahoma.
    Il signale qu'il est né le premier jour de juillet 1846 à 8 heures du matin et qu'il est le frère d'une Louise Mouriquand, née un 31 juillet. Au début, ses parents, Jean-Pierre et Louise,  vivaient dans la ferme de ses grands-parents. On parlait patois au village mais bon français à l'école. On le surnommait Candou. En 1852, sa famille emménage dans une ferme dont je comprends qu'elle se situerait à moins d'un kilomètre de Beaufort en direction de Crest, mais assez curieusement sur la partie de la colline  la plus raide. Je ne vois pas bien aujourd'hui ou peut se trouver. La famille  avait 40 à 50 moutons et trois à cinq chèvres. Son père avait négocié avec le maître d'école pour qu'il parte plus tôt le soir et qu'il arrive plus tard le matin pour s'occuper des moutons et des chèvres. 

     

    À propos de du soulèvement de 1851 contre le coup d'état de Napoléon III, présenté comme étant en 1852, son père fait partie des conjurés locaux. Il indique qu'un certain jour, son père, Jean-Pierre, a du se retrouver à quatre heures du matin avec d'autres membres de comités qui se trouvaient dans chaque commune, l'objectif étant de rencontrer des officiels de chaque localité et de s'y faire connaître. (NDJM: Ce que l'on peut savoir par ailleurs suggère que ces paysans croyaient que le pays entier allait se soulever  et qu'ils ne faisaient que rejoindre un flot de protestataires. Hélas...) Ainsi, le rassemblement eût lieu à l'aube pas encore blanchissante. JPD, ce moment-là, a six ans: il se souvient du départ de la colonne armée avec tous ce qu'elle pouvait trouver, hache, fusil.... Il semble que la colonne ait rencontré en cours de route un capitaine et quatre hommes qui se trouvaient là pour les empêcher de passer et qui  les ont  conjurés,  en larmes, de rentrer à la maison mais ils continuèrent leur route . Finalement, l'importance des troupes loyalistes fera capoter le mouvement révolutionnaire.
    JPD  raconte l'anecdote connue de son père qui est repéré dans un champs, probablement du côté de Suze, en train de marcher. Une enquête est ouverte sur lui à l'occasion de laquelle  Monsieur Achard, le notaire de Beaufort, semble-t-il, lui a sauvé la mise alors que le maire de la localité lui voulait du mal. ( Il y a une confusion dans l'esprit de JPD: le notaire EST le maire) Le notaire fera comprendre à Jean-Pierre  qu'il a intérêt a se tenir à carreau mais celui-ci a des voisins, des amis qui se cachent  à la campagne de crainte d'une lointaine déportation et et qui ont besoin de secours. Le père de JPD ne peut les refuser.

    La grand-mère de JPD, peut-être Louise Lombard, venait parfois de nuit et trouvait  quelquefois à la ferme des hommes recherchés. Elle implorait son fils de ne pas continuer à s'exposer. Dans les années 1852-53, les soldats étaient, semble-t-il, à Beaufort (à demeure?) .

    Les mémoires de Jean Pierre Diogène MouriquandEn 1858,  son père commença à se préparer a émigrer aux États-Unis. Tout le monde, dans le village, avait bien compris que ce départ aurait lieu. Le père avait liquidé ses affaires. Le maître d'école  conseilla à JPD d'apprendre tout ce qu'il pourrait qui puisse faciliter son arrivée aux États-Unis.

    Ils sont partis en décembre 1858 avec sa mère Louise et sa sœur Louise également. Ils  allèrent en  diligence jusqu'à  Valence, puis ils prirent un train vers Lyon, puis Paris où il s'arrêtèrent deux ou trois jours. Là, son père régla le passage jusqu'à Joliet dans l'Illinois (ce qui, par parenthèse, montre qu'il avait beaucoup préparé son affaire car Joliet non loin de Chicago devait, alors, être une petite ville. Elle ne compte aujourd'hui que 150 000 habitants. On peut supposer qu'il avait un contact précis sur place. De façon amusante, il est plaisant de voir que l'autre famille américaine à laquelle nous sommes rattachés et qui n'a aucun lien avec celle-ci, a une branche qui a été domiciliée à Joliet dans l'Illinois.)

     

    Puis, ces Mouriquand allèrent en train au Havre et passèrent la nuit de Noël dans cette ville. Ils montèrent, si j'en crois les archives de Ellis Island, lieu d'arrivée usuel des immigrants, à bord d'un bateau américain nommé le Geo Hurlbut  qui arrive à Ellis Island le  2 février 1859 . A son bord, se trouvaient 150 à 200 passagers émigrants pour les États-Unis parmi lesquels beaucoup furent malade pendant la traversée.Il y avait de quoi: dans la nuit du 19 janvier 1859, une tempête terrible menaça le bateau; les vagues étaient plus hautes que les mâts. 

    À leur arrivée, ces Mouriquand restent deux ou trois jours à New York pour que son père puisse régler quelques affaires et récupérer les bagages. Et Jean-Pierre Mouriquand achète  pour l'occasion une grammaire française et anglaise à l'intention de ses enfants.

    Ils se dirigent, par la suite, vers Philadelphie, puis vers Chicago où un personnage, se faisant passer pour Français, a failli leur voler leurs bagages. (Le texte est si désastreux que je n'ai pas compris s'il l'avait vraiment fait) .

     

    À peine arrivé à la destination définitive,  son père loue deux chambres et  met tout aussitôt les enfants  à l'école locale. JPD écrit qu'il avait étudié la fameuse grammaire française-anglaise que son père lui avait acheté à New York et il semble très fier de sa progression en anglais dont ses mémoires ne gardent aucune trace. Ils finissent par se rendre, en mai1860 à Kansas City où son père achète un joug pour des boeufs,  une carriole et entame la traversée du Kansas pour trouver un endroit où s'installer. Le Kansas, écrit-il, était à ce moment-là, un  simple territoire (et non pas un état) et ils firent le voyage à travers des territoires peuplés de tribus indiennes. Ils finirent  par trouver un terrain, dans la partie sud de Coffey County ( qui est encore tout petit puisqu'aujourd'hui, il compte 8000 habitants. Il est intéressant de noter que ce comté a été fondé cinq ans avant, donc on peut penser qu'il y avait l'espoir d'opportunités toutes nouvelles. Cette terre lui fut vendue pour 1,25 $ l'acre apparemment par les autorités américaines. En d'autres termes, il n'y avait pas de propriétaire, c'était clairement  un territoire à coloniser. )

    Malheureusement, l'année 1860 a été très sèche donc il n'était pas question de faire des plantations. Sa mère, Louise,  faisait de la lessive pour des fermiers alentour et JPD,  lui, va faire des moissons chez un dénommé Vandever.

    La sécheresse était telle que beaucoup de colons s'en allèrent, mais, heureusement, la famille s'était creusé un puit avec, écrit-il, « de la bonne eau » qu'il allait chercher en prenant des coups de soleil. La famille dut avec d'autres, recourir à des distributions maigres de vivres par un comité charitable (si je comprends bien).

    Et voici la guerre de Sécession racontée par lui: Le Kansas (où il se trouvait) avait été reconnu comme état américain en1861. Le 4 mars, le président Abraham Lincoln avait fait un grand discours  disant qu'il était garant de l'unité de la nation. Il avait proposé des compromis aux États esclavagistes du sud « mais rien ne pouvait arrêter les conspirateurs de diviser la nation ».

     

    Les mémoires de Jean Pierre Diogène MouriquandLe président Abraham Lincoln publia  une proclamation soulevant  75 000 hommes de troupe. L'excitation   au printemps 1861 s'accroît de jour en jour. Des milices étaient organisées et des volontaires intégrés à l'armée américaine. Des guerilleros vinrent du Missouri (voisin) à Humboldt, à environ 26 miles de la ferme familiale. Ils prirent la ville et s'emparèrent de tout ce qu'ils voulaient, en particulier une quantité considérable de whisky et ils finirent ivres. Ceci amena les habitants de la petite région de Leroy,  où  la famille se trouvait,  à constituer une milice. Une investigation élémentaire m'a montré qu'en effet, nos malheureux Mouriquand s'étaient implantés dans une zone de contact entre les troupes confédérées du sud et celles du nord et qu'ils se trouvaient donc dans un point chaud.

    A la fin de l'année 1861, une compagnie fut levée;  « j'ai essayé d'entrer dans l'armée mais ma mère refusa de donner son consentement ». Cependant, quelques semaines plus tard, des efforts de recrutement furent entrepris et, cette fois, il put aller sous les drapeaux.

    Il se présenta donc à  Fort Leavenworth (qui est, toujours aujourd'hui, une garnison militaire). Lorsque l'officier de recrutement, le lieutenant Robinet, le regarda et lui demanda à son âge, il répondit la vérité:15 ans passés. Le lieutenant répondit: « alors, vous n'êtes pas assez vieux ». Il essaya de se faire engager dans un autre régiment. Il expliquait à ses camarades que « si  je disais j'avais été refusé parce que j'étais trop jeune, ma mère pourrait ne plus jamais accepter que je m'enrôle. » Quelques jours plus tard, il se retrouve dans l'autre régiment,  en présence du fameux lieutenant Robinet. « Il me regarda et demanda si je n'étais pas déjà venu. Je ne pouvais pas lui mentir. Alors il me dit de partir et que si je revenais il me mettait en état d'arrestation ».

    Ca n'empêche pas qu'il fut finalement enrôlé: ses mémoires sont remplies d'un récit éternel et incompréhensible de « sa » guerre, d'où il ressort qu'il participa à des batailles significatives et que  la typhoïde l'atteignit très gravement. Il est limpide que cette guerre fut le grand moment de sa vie. Sur cent pages  de mémoires, au moins quarante lui sont consacrées, toutes très difficilement lisibles.

    On lit dans ce texte d'assez touchants développements concernant l'élection présidentielle qui montrent combien ces hommes voulaient s'intégrer aux États-Unis. En 1864, eût lieu la deuxième élection présidentielle consacrant Abraham Lincoln. L'élection cette année là,  écrit-il, était le 8 novembre. « Le General Mac Leland était le candidat démocrate. Mon père (ici en photo à droite) lisait  un hebdomadaire en français publié à New York.  Il était pour Mc Leland.  Nous discutâmes sérieusement de l'affaire et je dis à mon père que Mc Leland  était bien considéré parmi les soldats de l'armée du Potomac mais qu'il était en très mauvaise compagnie et qu'il adoptait un programme selon lequel il fallait demander une paix immédiate ce qui, selon moi, aurait divisé la nation en deux et aurait été destructeur. Mon père me dit alors: «  je crois que tu as raison, je voterai pour Abraham Lincoln ». Aux élections sénatoriales, le même jour, il y avait deux candidats: Sidney Clarke pour les républicains et Albert Lee qui était son opposant conservateur.  « Je connaissais Albert Lee pour l'avoir rencontré pendant la guerre. Par conséquent, je rayais le nom de Sidney Clark et j'écrivis celui d'Albert Lee qui avait été colonel du septième de cavalerie du Kansas et un bon. Il avait été promu brigadier général. J'établis les deux bulletins de vote exactement identiques et j'en donnais un à mon père ». Ceci signifie sans doute que son père n'est pas capable de lire l'anglais et c'est donc son fils qui prépare les bulletins. Par la suite, il redevient soldat jusqu'au 29 septembre 1865. 

     

    Il décide de s'installer sur un terrain que les Indiens Osage avaient  vendu aux  États-Unis. C'est là que, en 1866, il ce maria, le 8 novembre, «  avec une fille du Tennesee » comme  il l'écrit, oubliant de citer son nom. Il s'agit de Samantha Buck.

    Il ajoute:  « Je dois écrire aujourd'hui que nous sommes toujours ensemble et que nous ne nous sommes jamais combattu bien que nous ayons différé dans nos opinions et que nous avons eu dans cet intervalle neuf enfants trois d'entre-eux étant mort en bas-âge ». 

    Il explique qu'il n'est pas resté très longtemps sur les terres qu'il avait initialement choisies car, en 1870,  «  il y eut une grande excitation parce que des terres nouvelles devaient être ouvertes à l'installation sur d'anciens territoires indiens ». Il finit, après bien des péripéties, à se retrouver dans le comté d'Howard. Pendant quelques temps,  il va abandonner sa ferme au profit d'un magasin mais ça n'a pas longtemps  marché et, en 1875, à nouveau, il quitte le commerce pour une ferme. Il signale qu'il a été reçu dans la maçonnerie le 29 août 1874 et ça revient à différents passages de ses écrits.

    En 1878, il est nommé greffier car il était délégué à la convention d'un parti qui a disparu aujourd'hui et qui s'appelait le Greenback party. Il faut rappeler que c'était des fonctions électives. C'est alors, finalement, qu' il s'installe à Homestead où, outre son commerce, il fait pousser du blé et vend du bétail. C'est cette fameuse maison, sauf erreur de ma part, dont nous possédons une photo. 

    Les mémoires de Jean Pierre Diogène MouriquandAvec un voisin, il  signe une pétition pour que il y ait un bureau de poste et il fut appointé « président du bureau » de Homestead le 23 février 1893 . Par la suite, il nomma sa fille, Nora, comme assistante puisqu'il était toujours très occupé par sa ferme et c'est elle qui tenait à la fois le le magasin et la poste. (Il est le personnage peu visible sur la photo de gauche). La région n'était pas sûre. Des hors la loi traînaient dans les environs.  En 1894, sur les conseils d'un lointain voisin qui, comme lui avait été membre du septième régiment de cavalerie du Kansas fut créée,  l'association contre les voleurs de chevaux. La région est alors écumée par des hors-la-loi et on comprends des mémoires de JPD qu'il fait partie d'un petit groupe qui tente de maintenir l'ordre. Un jour, un homme de passage, probablement ivre, était entré en querelle avec des « negros » (écrit JPD) . L'un des deux hommes vint à Homesstead acheter un fusil, furieux qu'il était après l'accrochage. L'ivrogne fut tué et la justice émit un ordre d'arrestation. JPD partit alors à la recherche du coupable dans une localité ou vivaient d'autres noirs. Il finit par arrêter un des hommes en cause qui prétendit n'avoir jamais été présent. JPD lui objecta que son histoire était fausse et qu'on l'avait vu quelques instants avant le meurtre. Il finit  alors par avouer. « Des voisins vinrent me prévenir qu'on se proposait de le lyncher.  J' ai dit à la foule que s'ils le faisaient le shérif serait responsable. Notre association était obéissante à la loi et que le lyncher serait se rendre coupable de meurtre. On déplaça le meurtrier dans une autre localité mais des foules s'y étaient rassemblées et finalement le prisonnier fut bel et bien lynché. »

    Un gang était très actif dont on  trouve facilement trace dans l'histoire des États-Unis qui est celui de Black et Yeager. Dans ses mémoires, JPD explique, dans une confusion totale, comment ses voisins furent menacés par ces deux hommes et que son propre fils tua Black, tandis que Yeager était blessé mais réussit à disparaître. Il va s'ensuivre une longue poursuite et à nouveau, le petit groupe autour de JPD réussit à retrouver dans un champ de blé Yeager et le blesse à nouveau. Cette fois, il est emmené au shérif. Il sera gardé en prison jusqu'à sa mort.Comme l'on sait par la suite le fils en question sera à son tour tué dans une confrontation semblable. JPD ajoute « je dois dire ici qu'à partir de ce moment-là ne plus fûmes plus jamais ennuyés par les hors-la-loi ».
    En octobre 1895, JPD est élu « comme représentant de trois ordres locaux » - je pense qu'il veut dire l'équivalent d'un canton regroupant trois communes dont il donne les noms. 

     

    En 1896, JDP est candidat pour le 24e district et la quatrième législature de l'Office des représentants en Oklahoma – c'est à dire représentant- à un moment où le pays est traversé par une question relative à la monnaie qui bouleverse l'opinion. Il semble bien que JPD soit donc candidat de ce Greenback party  dont je crois comprendre qu'il est sur une position assez populiste mais ça n'est pas clair. JPD fait vigoureusement campagne et est élu.

    Ainsi se terminent les mémoires de Jean-Pierre Diogène.

     

     


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