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Règlement de comptes sur fond de cure
Les archives de Beaufort-sur-Gervanne pour le XIX° siècle, comportent de nombreuses pages consacrées en particulier à la destination de l'ancienne cure. Il est juste de dire qu'une bonne partie de leur intérêt tient à ce qu'elles sont, par moment, des modèles de polémique. Il faut se remettre dans le contexte. L'affaire éclate en 1856, soit cinq ans après le coup d'état de Louis-Napoléon devenu Napoléon III en fait un an plus tard (1852). Depuis 1820, environ, l'église catholique qui a été malmenée par la révolution est en pleine phase de reconquête ce qui se traduit, entre autres, par une grande campagne de reconstruction d'église. Voici par exemple (à gauche) Aouste avant la reconstruction de son église, puis après (ci-dessous) autour de 1873.
Au passage, la nouvelle église est du même cabinet d'architectes que la basilique de Fourvière de Lyon, c'est à dire à mes yeux aussi désastreuse.
Il se trouve que Beaufort est protestante à un degré rare puisque vers 1830 un maire peut écrire que 19 habitants sur 20 le sont et, au moment où éclate l'affaire , son lointain successeur parle de 80% de protestants.
Le coup d'état a établi un empire qui s'appuie assez largement sur l'église à moins que ce ne soit l'inverse car, en réalité, Napoléon III s'intéresse infiniment peu aux questions religieuses à la notable différence de son épouse, l'Impératrice Eugénie. Mais c'est bien plutôt la fraction conquérante de l'église catholique qui trouve l'occasion trop belle pour ne pas partir en campagne dans des fiefs protestants. Beaufort en est un.
Or, il s'y trouve que l'ancienne cure - du moins, le lieu qui hébergeait les curés et qui, comme tel, avait pris par usage le nom de cure (on verra que la subtilité a son importance)- héberge des années durant le pasteur protestant.Évidemment, ça apparaît à la fabrique (en quelque sorte le conseil d'administration de la paroisse catholique) comme insupportable et elle intervient auprès du sous-préfet pour obtenir la restitution du bien. Je ne sais pas si le maire d'alors, Adolphe Achard, est protestant (sans doute), mais il entre dans une fureur noire. On le voit au nombre de pages qui sont consacrées dans les comptes rendus du conseil municipal à l'affaire, jusqu'à une trentaine de pages, alors que d'habitude c'est une page ou un peu plus. Et, pas de pot pour les assaillants, Adolphe Achard est notaire donc il connaît le droit jusqu'au bout des doigts.
Le voici qui, par exemple, écrit que "du 15 février 1853 au 15 avril 1854 un homme en soutane parcourait les communes des alentours et cherchait avec précaution et mystère des personnes sachant signer dont la complaisance allait servir ses desseins". De quoi s'agit-il? D'obtenir des déclarations de personnes déclarant que la cure était bel et bien bien d'église avant la révolution. Or, la thèse de la municipalité est l'inverse: "oui, certes, la commune a longuement hébergé des curés avant la révolution, oui, certes, l'usage a fini par faire désigner le lieu concerné sous le nom de cure, mais c'était dans un bien communal". En vérité, l'offensive vient de loin car, dès 1827, un lointain prédécesseur du maire Achard, probablement confronté lui aussi à semblable revendication fait une enquête qui aboutit à établir qu'il s'agit bien d'un bien communal. Fort malencontreusement, "l'homme en soutane" obtient bien des attestations, mais dont la plupart sont de personnes qui n'étaient pas nées lors de la révolution. Par ailleurs, le notaire sait bien que l'usage ne vaut pas la propriété et fait perfidement observer que les curés installés postérieurement à la révolution dans la commune ont été, sans faire d'histoire, se loger ailleurs. Il réclame sans cesse un titre de propriété qu'on ne peut lui produire. Il faudrait citer plusieurs pages remarquablement enlevées de courroux. Il faut dire qu'il y avait de quoi: le curé Sarrazin qui était à la manoeuvre se moquait ouvertement du pasteur Cassinard qu'il appelait "Quasi-Ignare", ce qui manque de charité chrétienne. Une de ses paroissiennes, Melle Truc, obèse de son état, devenait pour lui La Truie. Ambiance.
Il semble pourtant qu'on ait contraint la commune à acheter une maison (non pas celle du pasteur mais une autre). Mais la victoire fut de courte durée. Car, une fois l'Empereur tombé, la commune se considérant comme bien trop sollicitée pour contribuer aux finances de la fabrique, se mit à y regarder de très près dans ses comptes et affirma bientôt qu'elle était si mal gérée que toutes les finances de la commune finiraient par y passer, laissant en définitive un tableau assez déplaisant de la manière dont les catholiques administraient leurs biens. La vengeance est un plat qui se mange froid.
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