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Par gervanne le 17 Août 2015 à 21:07
On voudra bien me pardonner de commencer ce blog par des archives qui m'appartiennent en propre. Le 4 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de qui-vous-savez et, alors, président de la république, fait un coup d’état pour devenir empereur. L’affaire, pour ce qui concerne la Drôme, est très documentée. Un soulèvement s’ensuit. Et il se trouve que notre famille est du camp républicain. Donc, elle rejoint, dans des circonstances assez connues, les insurgés qui se lèvent un peu partout dans la région contre l’opération. Il est probablement inutile de dire que les malheureux seront hachés menu par les troupes napoléoniennes. La ville de Crest possède toujours aujourd’hui une statue de l’insurgé, en souvenir des batailles qui valurent aux meneurs la déportation.
Beaucoup, dont Jean-Pierre Mouriquand, devront s’enfuir. Lui a hébergé des républicains dans sa ferme. «De ma maison, écrira plus tard son fils, nous pouvions voir toute la colonne» (de révoltés qui était partie le 6 décembre 1851, des hauteurs de la Gervanne). «J’avais six ans et je m’en souviens jusqu’à présent. Les hommes étaient armés avec ce qu’ils pouvaient.» Dans les mois qui suivirent des escouades ratissèrent les campagnes à la recherche de sympathisants révolutionnaires. «Comme il marchait dans un champ (Jean-Pierre Mouriquand) vit une escouade, se cacha dans l’herbe, mais il fut repéré parce qu’il portait une chemise blanche». Il est arrêté, relâché, mais définitivement suspect, il part aux États-Unis emmenant notamment son fils Jean-Pierre-Diogène (ici JPD) , né en 1847. Nous savons seulement que Jean-Pierre meurt en 1880.
Jean-Pierre-Diogène, arriva aux États-Unis en 1858, à l’âge de 12 ans. Il s’enrôle dans l'armée du Nord, lors de la guerre de Sécession et participe à tous les combats, la guerre ayant eu lieu de 1861 à 1865. Il semble qu'il ait menti sur son âge pour se faire enrôler. (Il paraît qu'il existe même aux États-Unis une association des Mouriquand ayant servi dans l'armée américaine...).
Il se marie avec Samantha Jane Buck, originaire du Tennessee. Elle avait perdu sa mère à l'âge de huit ans. Il l’avait rencontrée à Neocho, dans le Missouri, où elle s'était installée avec ses deux frères.
Ils se rendirent d'abord dans l'Oklahoma, puis à Sedan (aujourd'hui 1200 habitants), dans le Kansas, que JPD contribua à construire. Puis, ils partirent pour Homestead (actuellement dans le comté de Blaine de l'Etat de l'Oklahoma -l'actuel comté reste tout petit puisqu'il ne compte pas 12 000 habitants, autrement dit c'est de l'ordre de grandeur de la région de Crest...). Il est forgeron, croque- mort, surtout patron du “general store”, c'est-à-dire le magasin où l'on trouve de tout dans le petit village. Son magasin sert aussi de poste locale. Il était, au surplus, pharmacien comme sa fille Sarah qui tenait la pharmacie. Samantha et Jean-Pierre-Diogène ont eu un nombre considérable d’enfants: Marie-Alice, Sarah Razelta, Martha Rebeka, Albert Labon Lee, Edwin Burt, Noral Ellen, Mark Moore, Elon Diogène et Stephen Arch. A cela s’ajoute peut-être un fils adoptif dont la mère avait été abandonnée lors d'une attaque de chariots par les Indiens et élevée par une vieille Indienne. Jean-Pierre Diogène va devenir sénateur des territoires de l'Oklahoma. Le «Daily Oklahoma State Capital», le cite dans son compte-rendu des débats parlementaires du mardi 16 février 1897. Il s’oppose, semble-t-il, au régime favorable qu’on est en train de consentir à une institution religieuse d’enseignement.
Horreur, «L’Oklahoma Leader» du 16 décembre de la même année nous apprend que l’excellent parlementaire s’est fait casser la figure pour avoir apporté son témoignage dans un procès... Ce qui prouve que la moralité se perd depuis bien avant mai 68. Il était lui-même prédicateur baptiste. Malgré ce titre, il s’oppose, nous dit le «Guthrie Daily Leader» du 2 février 1897, à ce qu’on exempte les ministres du culte d’impôt considérant que Jésus, seul exemple pour les hommes du culte, n’avait jamais demandé qu’on fit d’exception en leur faveur... Ce personnage décidément peu ordinaire était enfin membre de la franc-maçonnerie de rite écossais – ce qui aux Etats-Unis est d'une parfaite banalité.
Jean-Pierre-Diogène fut aussi un farouche prohibitionniste, c’est-à-dire opposé à la vente d’alcool dans les lieux publics. Il fut enfin...président de l’association de lutte contre le vol des chevaux de son état à partir de 1899.
JPD meurt à 93 ans, en 1935. (Il est sur la photo de gauche l'homme à la puissante moustache). Un de ses fils, Mark, devenu US Marshall, fut tué par un hors-la-loi, quelques temps après avoir lui-même tué un des membres du célébrissime gang Black and Yeager que l'on trouve dans toutes les bonnes chroniques de l'histoire de l'Oklahoma. Un savant travail d'un dénommé Robert O.Fay, datant de 1959, nous incite à ne pas croire à toute les histoires de trésors cachés des membres du gang. Nous, ça nous plairait bien. On peine à le croire et pourtant c'est dans ce même endroit et à la même époque que sévirent... les Dalton. Ca ne s'invente pas
J’ai retrouvé dans mes archives une lettre. Elle est - elle- d’une écriture magnifique et d’une langue parfaite et elle est précisément de Léa Vignon depuis Beaufort. Elle dicte - car elle ne parvient plus à écrire et c’est un Buffardel qui tient la plume: « J’ai encore, présent à la mémoire le moment de votre départ en 1858. Votre dernière maison n’a plus jamais été habitée et ses ruines après un incendie sont pour moi un souvenir de votre famille.»
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Par gervanne le 17 Août 2015 à 20:33
Un pan entier de notre histoire locale est en train de disparaître. Il n'y a pas si longtemps il était possible de trouver des souvenirs locaux du XIX° siècle ou de la guerre de 14-18. Ca n'est plus le cas. Bientôt, ce ne sera plus le cas de la guerre de 39-45. Les témoins disparaissent. Mais, ce qui est plus grave, les documents aussi. Non certes les documents publics, les journaux, les livres d'érudits. Mais il n'est plus possible de répondre simplement à la question: comment vivaient nos ancêtres. Ce blog est né de la grande colère qui m'est venue en constatant la disparition d'archives municipales du XIX° siècle dans la modeste vallée de la Drôme où je vis.
Une autre colère m'avait saisi lorsque je m'étais rendu compte que la vie des petites gens qui travaillèrent les cocons aux fil du XIX° siècle demeurait sans témoignage. Or toutes les études nous montrent que les revenus de ce que l'on appelait "l'éducation du ver à soie" ont fait vivre des gens par milliers. Survint à partir de 1853 l'épidémie de pébrine. "Ce fut, me disait un spécialiste, l'équivalent de la crise de la sidérurgie". Eh bien de la vie des simples gens qui vécurent cela il ne reste rien. Ah, des musées (fort bien) organisés autour de la vie des filatures, on en trouve sans peine. Mais c'est normal, les filateurs étaient riches et puissants. Mais le petit paysan qui se faisait un indispensable complément de revenus avec les cocons est complètement oublié. C'est une mémoire essentielle qui disparaît là.
Il n'y a plus qu'une solution fouiller et fouiller encore dans nos greniers et nos vieilles valises dans l'espoir de retrouver des correspondances, peut-être des journaux intimes qui nous diraient ce que fut la vie de milliers de gens.
C'est précisément un des objets de ce blog de drainer documents, écrits, travaux et toute forme de document pour sauver ce qui peut l'être.
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Par gervanne le 9 Août 2015 à 00:35
C'était le bon temps. Celui des haines recuites où entre gauche et droite on se traitait de « chiens courants du capitalisme » ou, à l'inverse, de « partageux » et de « moscoutaires ». Waldeck Rochet, secrétaire général du Parti Communiste de 64 à 72, dont il va être ici question a vécu cette période . Nous avons la chance, grâce à son fils Guy, ancien communiste lui-même, désormais installé à Saoû, de connaître l'envers d'un personnage qui fut haï et adulé, qui tenta d'infléchir un parti qui avait grandi dans le culte de Staline.
Guy Rochet accueille dans une maison inondée de lumière qui a sans doute une des plus belles vues sur Saou avec son promontoire qui se dresse au dessus de la commune et que l'on voit là, à travers une porte fenêtre.
De son père, il a une première image, celle de la Citroën traction qui, à la fin de la guerre, s'avance dans la cour de la ferme où il a vécu , des années durant caché, nourri par une mère, la délicieuse Eugénie. Elle courait les fermes en vélo pour nourrir ses trois enfants, deux fils et une fille. Car Waldeck Rochet, né en 1905 en Sa^ne et Loire, fils d'un sabotier hyperlaïc, qui lui avait donné ce prénom étrange par référence à Waldeck Rousseau (1846-1904), l'homme de la fameuse loi de 1901 sur les associations et sur la liberté accordée aux syndicats, fut prisonnier pendant la guerre en Algérie pour avoir été député communiste. Il rejoint de Gaulle à Londres pour représenter auprès de lui les communistes. Et le petit Guy, avec son frère aînée et sa soeur cadette, vont pousser grâce aux mérites de leur mère qui les protège, loin d'un père qui, ce jour là, sortant de sa traction, leur paraît étonnamment grand. Ils en ont rêvé depuis tant d'années. « Ma soeur, dit Guy Rochet , embrassait sa photo tous les soirs ».STALINISME
A partir de là, ils vont rejoindre Paris, logés comme on peut alors, chez quelques amis, dans un milieu où l'argent ne coule pas à flot. « Nos parents, dit Guy Rochet, étaient des gens intègres. Au parti, on était très à cheval sur les convenances. On m'avait mis en garde sur le fait de ne pas me faire prendre dans un mauvais coup. On ne divorçait pas. ». Les jeunes Rochet voient leur père- d'abord député de Saône et Loire et Loire, puis de la Seine, puis de la Seine Saint Denis- rentrer à la maison, manger en prenant des notes, son épouse poussant ses papiers pour faire place aux assiettes. Eugénie vivait dans l'ombre de son grand homme, mais, dit Guy Rocher: « Elle donnait son avis, faut voir comment ». Et il a des mains un geste qui fait claquer les doigts et qui fait comprendre que la femme supposée effacée ne l'était pas tant que l'on aurait pu croire.
Nous sommes dans les années du stalinisme le plus noir. Waldeck Rochet monte dans l'appareil du parti. Charles Fitermann, son secrétaire, dira à Guy: « ton père est arrivé au pouvoir malgré lui ». C'est qu'il y a, quelque part, dans ce paysan qui a créé les organisations agricoles du parti communiste, une réticence vis-à-vis du culte de la personnalité. « Nous sommes allés en URSS avec nos parents, lorsque j'étais enfant, témoigne Guy Rochet. Mais nous étions constamment encadrés. Nous n'avons pas vu la réalité du pays. Mon père n'a pas voulu que nous soyons embrigadés dans les organisations de jeunesse qui dépendaient du système. »ENGONCE
Et de fait, Waldeck Rochet appartient à la génération qui prend coup sur coup sur la tête le rapport Krouchtchev et l'intervention soviétique en 1956. Aujourd'hui, Guy Rochet admet bien volontiers que l'appareil du parti n'est, alors, pas en mesure d'absorber ses révélations. Surtout, on sent chez lui, une souffrance toujours vive lorsqu'on lui parle de l'intervention des chars soviétiques à Prague en 1968. « Mon père (alors secrétaire général du parti) avait été désigné comme médiateur. Il avait obtenu des Soviétiques la garantie qu'ils n'interviendraient pas. Deux jours plus tard, ils l'ont fait. »
En vérité, toute la vie de Waldeck Rochet, mais aussi des siens, car Guy sera aussi militant, est celle de l'espoir déçu de faire bouger un parti tout engoncé dans son stalinisme. ». On peut retrouver dans Le Monde de 1985 l'écho d'une protestation de Guy, communiste rénovateur, qui signe une protestation. « Je me suis fait convoquer par le (très stalinien) Gaston Plissonnier. Nous étions les enfants de nos parents, nous ne pouvons pas faire ce que nous voulions. »
Waldeck Rochet, est aussi celui qui noue des relations discrètes avec François Mitterrand, relations qui mèneront au fameux programme commun de la gauche. Il interviendra après la mort, au terme d'une maladie dégénérative, en 1983, de Waldeck Rochet.DOUTE
Guy Rochet nous tend une information qui circule sur internet et selon laquelle Aragon aurait affirmé qu'il avait dit à Waldeck Rochet de ne pas aller en URSS car il y serait empoisonné. Il se souvient: « A sa mort, nous avons du faire une déclaration pour dire qu'il avait été bien traité. ». Il n'en dit pas plus, mais on sent bien que le doute est quelque part.
Cet homme qui vit passer chez son père Aragon, déjà cité, mais aussi Maurice Thorez, Roland Leroy, Georges Marchais (qu'il a détesté) a mené sa vie comme technicien de télévision tout en conservant un engagement au PCF souligne que son père ne l'y a jamais poussé. « Ni à mon frère, ni à ma soeur, ni à ma moi, notre père n'a imposé notre engagement. Mais c'est vrai que c' était un monde incroyablement chaleureux et que nous nous y sentions bien. » Une seule fois, Guy Rochet se souvient d'avoir entendu un professeur l'appeler « fosse commune ». Ambiance...
Guy Rochet, passionné de bicyclette, fondateur d'un club de vélo, de plus en plus critique vis-à-vis d'une direction du parti dont il n'approuvait plus les orientations, va au demeurant, conserver dans son engagement sportif la vocation sociale de la famille. A vélo, il a essayé d'intégrer des jeunes beurs à la dérive, avant de voir monter dans Sartrouville où il vivait avant de s'installer à Saou auprès de sa fille, des imams. Ils prendront en main cette jeunesse jadis encadrée par le parti. Entre le père et le fils, ce sont, en somme deux itinéraires qui, sous cet aspect très particulier, se sont prolongés. Guy Rochet a vu l'effondrement de ce que les amis de son père avaient construit. Et la nostalgie est perceptible chez lui de ce temps fait d'amitié fortes, de solidarités naturelles, dissoutes par l'aveuglement du parti que finalement ses propres militants ont fini par comprendre.
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Par gervanne le 7 Août 2015 à 00:50
Voici une histoire d’aventures, une histoire d’amour, une histoire de passion. Une histoire qui trouve son commencement et son aboutissement à Divajeu, dans le moulin des Lambres qu’en 1900 achète Eugène Allard. Il va produire là de l’huile et de la farine. Il y eût même un temps, précédemment, où on y faisait de la chaux. Puis, c’est Léon, le fils qui reprend l’affaire dans ce superbe bâtiment planté au dessus de la gorge profonde du ruisseau des Lambres qui a pu être colérique au point d’envahir les terres alentours, en dépit de la profondeur de son lit.
C’est là que va naître, il y a 82 ans, Léone si peu destinée, dans ce cadre, à devenir une spécialiste reconnue des inscriptions des grottes du Tassili dans le Sahara. Les images de son enfance sont celles de l’âne que sa mère utilisait pour aller au marché. « Je suis né dans la farine », dit- elle en riant. On entre dans le lieu même où jadis se trouvait le moulin. « Le plancher était en bois et donc la farine broyée en dessous voletait partout… » Mais aujourd’hui on est bien en peine de reconnaître quoi que ce soit qui rappelle un moulin. La pièce est envahie de livres, dont beaucoup de travaux savants de Léone Allard. Au mur, des dessins, un peu partout , qui reproduisent ceux découverts dans le désert par l’archéologue et son époux, aujourd’hui décédé, le Général Paul Huard.
LE DIRECTEUR D’ECOLE ELEVAIT DES LIEVRES
« J’ai commencé comme bouche-trou dans des écoles de l’Ardèche » raconte-t-elle en montrant un petit tableau naïf que lui dédia un de ses écoliers d’alors. Léone Allard a un passé de scoutisme donc elle pratique une pédagogie active, plus ou moins bien appréciée des parents d’élèves. Elle sort d’une pile de documents un touchant petit journal rédigé par ses élèves en anglais qu’elle enseignait. Il y est question de Frisette, la vache d’une famille et du directeur d’école qui allait à la chasse et élevait des lièvres.
Léone Allard va ainsi enseigner l’anglais en divers postes, en particulier à Joyeuse et, pendant 17 ans, à Saint Agrève. Mais l’atmosphère est un peu étriquée. Elle rêve de grands espaces. Une annonce d’un voyage organisé au Sahara la séduit. Elle veut partir. Mais l’affaire échoue. Nous sommes alors en 1974. L’ethnologue Françoise Claustre vient d’être enlevée par des rebelles sur place et le déplacement est annulé. Ce sera donc pour l’année suivante.
Et là c’est le choc. Léone Allard découvre en plein désert ces dessins des chasseurs qui vécurent là de -5000 à -1000 avant Jésus Christ. Elle photographie, dessine, note et rentre pleine d’enthousiasme en Ardèche. Elle s’y sert du matériel ainsi récolté pour faire monter des expositions par ses propres élèves. « Avec pas grand-chose, on peut faire énormément… » dit-elle aujourd’hui en songeant à cette pédagogie de bouts de ficelles mais audacieuse.
LE GENERAL ET SES MEHARISTES
Encouragée par un photographe, elle voudrait faire davantage connaître cette civilisation qu’elle a entr’aperçue. Un livre peut-être ? A Grenoble, l’éditeur Arthaud se récuse, mais donne tout de même d’utiles conseils… et surtout des adresses. Celle de Roger Frison Roche et celle…du général Huard
La belle figure que voilà ! Celle de ces militaires découvreurs du monde, comme il y en eût tant. Paul Huard est un Lorrain, né en 1903, qui rêve dès sa jeunesse de partir pour l’Outre-Mer. Alors ce sera l’armée, non qu’il nourrisse pour elle une passion excessive, mais que d’opportunités de voir du monde ! Le voici en Chine, à Ceylan, au Laos, en Inde. Il court l’Asie. Il remonte le Yang Tsé sous un vague prétexte militaire. Et, très tôt, sa passion des peuples lointains se traduit par des publications scientifiques. Il écrit un ouvrage sur les Mnongs du plateau central indochinois. Il y a la Deuxième Guerre, bien sûr. Il est du côté de De Gaulle. « Bien sûr », ajoute Léone. Il passe en Espagne, est fait prisonnier, puis rejoint les troupes alliées en Afrique du Nord. Belle carrière qui lui vaut le grade de de général en 1953. Dans l’intervalle, il a quitté l’Asie : « Qu’il aille où il veut mais qu’il quitte l’Indochine », aurait dit le Maréchal Leclerc. Le voici donc au Tchad qu’il connait un peu pour avoir lu les récits d’un voyageur du XIX° siècle, Nartigal. Basé à Fort Lamy (l’actuel N’Djaména), il court le désert avec ses méharistes. Et, lui aussi, découvre les dessins rupestres qui nous renvoient à une civilisation incroyablement lointaine.
COMPARAISON ETONNANTE
C’est cet homme là qui va recevoir un jour, dans sa propriété de Saint Mandrier, au bord de la Méditerranée, une lettre d’une jeune femme de 24 ans sa cadette : Léone Allard, bien sûr. Là se noue une histoire d’amour. Ils se marient au bout de trois mois. Là se noue aussi une immense aventure scientifique. Ces deux là vont courir le Tchad et le Soudan, vont multiplier les photos et les relevés. Et ils vont faire des rencontres remarquables.
Ainsi avec Jean Leclant, le très grand égyptologue. En effet, il n’est pas possible de dater tous ces dessins que les Huard trouvent dans les profondeurs du Tchad ou du Soudan. Mais le Général a la formidable intuition qu’en raisonnant par comparaison avec ce que l’on trouve non loin de là, en Egypte, on pourra tirer des leçons. Or, il est beaucoup plus facile de dater les découvertes égyptiennes. Léone Allard bondit de sa chaise, étonnante d’énergie lorsqu’il s’agit de défendre la passion de sa vie, et tend deux dessins, l’un venu des sables du Tchad, l’autre d’Egypte. Et la comparaison est étonnante. La parenté de certains motifs est manifeste.
Le Général Huard et son épouse vont ainsi élaborer une théorie qui sert aujourd’hui encore de référence. Ils ont montré qu’il y avait dans ces dessins non seulement une représentation de ce que voyaient leurs auteurs ( les traits culturels matériels, en termes scientifiques), mais aussi des dessins qui trahissaient ce qu’ils avaient à l’esprit, par exemple des invocations avant une chasse pour qu’elle soit féconde (des traits culturels de valeur psychiques). Et évidemment, comment ne pas être tenté de voir là une intuition de l’existence d’une autre force, des dieux, pour tout dire ?
DANS LES CAMIONS DE CHEVRES
Des photos par milliers, des dessins à n’en plus compter, des publications importantes comme « Nil Sahara, dialogues rupestres », Léone Allard fit tout cela aux côtés de l’homme de sa vie, disparu en 1994. « Il ne cherchait pas. Il trouvait », affirme-t- elle aujourd’hui toujours fidèle à sa mémoire et touchante lorsqu’elle dit « le général », lorsqu’elle parle de lui. Et tout ce qu’elle fit, elle le fit pour rien. Jamais payée, privée du moindre titre officiel, achetant ses billets d’avions, montant dans des camions chargés de chèvres pour s’enfoncer dans des territoires lointains, dormant chez l’habitant, Léone Allard ne s’est pas ménagée.
Et elle continue. Elle traduit en anglais, cette langue qu’elle a apprise dans sa jeunesse par des séjours répétés en Angleterre et en Ecosse, tous ses travaux. Elle les fait imprimer et les envoie à ses jeunes collègues, par exemple au Soudan, qui ont pris la relève et, à leur tour, font avancer notre connaissance de ces civilisations des sables.
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